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    REFLEXIONS

    SUR BARBEY D’AUREVILLY ET BERNANOS

    A LA LECTURE DU ROMAN LA JOIE

     

    Georges Bernanos fait partie de cette lignée de romanciers catholiques (parmi lesquels se sont illustrés aussi Léon Bloy, Paul Claudel, François Mauriac, Charles Péguy et Graham Green) qui se réfèrent, de près ou de loin, à Barbey d’Aurevilly. A travers une lecture de son roman La Joie, publié en 1929 et qui obtiendra le prix Femina (le seul de ses livres se déroulant en Normandie), je vais tenter d’effectuer des comparaisons entre les deux écrivains.   

    Ambiance 

    La Joie est la suite d’un roman précédent, L’Imposture. Il y est question d’un homme d’une rare mesquinerie, M. de Clergerie qui, après des études au collège de Coutances, est devenu un historien besogneux, dépourvu de talent mais ambitieux. « Né pour faire une carrière et non pas une vie », ce veuf est prêt à tous les calculs et compromis afin d’atteindre son but ultime : un fauteuil à l’Académie Française.  Pour ce faire, il programme un mariage avec une comtesse qui pourra actionner son réseau en faveur de l’élection de son mari ; mais il faudra, auparavant, « caser » sa fille de 18 ans et, à défaut d’un mariage, il envisage donc de l’enfermer dans un couvent. En dépit de son jeune âge, Chantal est une forte personnalité, une fille belle, pure et joyeuse, une chrétienne prête à se sacrifier pour le salut des autres, mais qui ne veut pas se couper du monde. Toute l’action se déroule au début du XXème siècle, l’été, dans le château normand de M. de Clergerie, entre une grand-mère sénile, un prêtre aigri et des domestiques cyniques. 

    Barbey d’Aurevilly et Bernanos n’aimaient pas les mesquins, ni l’Académie Française. Le premier avait publié en 1863 Les Quarante médaillons de l’Académie, un pamphlet dans lequel il dénonçait avec une ironie assassine les bataillons de médiocres et d’ambitieux (aujourd’hui, pour la plupart, totalement inconnus – exception faite, certes, de Victor Hugo et de Mérimée) qui occupaient les fauteuils des « Immortels », au détriment des génies à qui on avait refusé l’entrée sous la Coupole : Théophile Gautier, Honoré de Balzac, Alexandre Dumas, Charles Baudelaire, Stendhal… Pour ce qui concerne Bernanos, après la deuxième guerre mondiale on lui proposera une place à l’Académie Française, mais il la refusera avec des mots que Barbey d’Aurevilly aurait pu écrire : « Quand je n’aurais plus qu’une paire de fesses pour penser, j’irai l’assoir à l’Académie ».   

    Des sources communes : la royauté, la violence verbale et (occasionnellement pour Bernanos) la Normandie 

    Je crois inutile d’insister sur l’importance de « sa » Normandie dans l’œuvre de Barbey d’Aurevilly : « je ferai du Shakespeare dans les fossés du Cotentin », a-t-il écrit. Impossible de concevoir les récits du Connétable des Lettres en dehors de sa terre natale, comme il serait impossible d’envisager un Marcel Pagnol sans la Provence. Ce n’est absolument pas le cas pour Bernanos qui, fortement inspiré par le Pas-de-Calais où il avait vu le jour, y a situé une partie de son œuvre ; il n’a fréquenté la Normandie qu’en 1913, après que le royaliste Léon Daudet lui ait proposé de prendre la direction d’un petit hebdomadaire de Rouen : L’Avant-Garde de Normandie. A cette époque, Bernanos militait depuis quelques années dans les Camelots du Roi, un groupuscule rattaché à l’Action Française. Lors d’une conférence qu’il tiendras en 1927 à Rouen, il confiera qu’à l’époque il s’était fait un plaisir de scandaliser l’opinion publique de cette « vieille ville, si attachée à ses traditions provinciales de prudence, de ménagement réciproque, de bienveillance un peu sceptique, (…) lente à s’émouvoir » défauts (ou qualités...?) qui caractérisent l’âme normande. L’Avant-Garde de Normandie se distinguait, en effet, par ses positions provocatrices et en flèche contre la république et la démocratie ainsi que par son nationalisme et son antisémitisme, les articles de Bernanos se démarquant plus particulièrement par une violence verbale extrême. C'est au cours des années 1930 que l'écrivain, inquiet par la montée des régimes fasciste et nazi, ainsi que par les massacres franquistes lors de la guerre civile espagnole, qu'il se démarquera des doctrines d'extrême droite.

    Le court épisode normand a toutefois représenté pour Bernanos une époque heureuse avant que la guerre n’éclate (il se portera volontaire et, simple caporal, sera grièvement blessé à la jambe). Il s’en souviendra plus tard comme des « seuls mois radieux de sa vie » ; pas étonnant, donc, qu’il l’ait choisi comme décor pour son roman au titre explicite : La Joie. Souvenir de cette phase heureuse de sa vie, le récit est entièrement dominé par le soleil. Barbey, lui, avait une connaissance beaucoup plus approfondie de la Normandie, pas bornée par un séjour heureux, certes, mais court : il en était totalement imprégné. Dans ses récits, le soleil est rare, c’est la pluie, le brouillard et la nuit qui dominent. 

    L’action de La Joie se déroule dans un village qui n’existe pas – en tout cas pas en Normandie, le seul Ligneville connu se trouvant dans l’Oise. Toutefois les références à la Normandie sont nombreuses, et divers indices précisent qu’on se retrouve dans le département de l’Eure, près de Verneuil-sur-Avre. Nous ne savons pas pourquoi Bernanos a choisi plus spécialement cet endroit, on peut simplement constater, sans que l’auteur n’y fasse la moindre allusion, que le comte De Frotté (chef chouan normand) y a été fusillé en 1800, et que Louise Colet (l’amie et confidente de Flaubert) y est inhumée.  

    Joseph de Maistre, inspirateur de Barbey et de Bernanos 

    Depuis toujours, il existe un écueil majeur dans la religion catholique : la scandaleuse souffrance des justes. Joseph de Maistre (1753-1821), le chantre des légitimistes réactionnaires et ultramontains, n’était pas seulement un penseur politique, mais avait élaboré aussi une doctrine religieuse cohérente : celle de la « réversibilité des mérites ». Se référant à l’exemple du Christ, de Maistre s’exprimait ainsi dans ses Considérations sur la France : « Le juste, en souffrant volontairement, ne satisfait pas seulement pour lui, mais pour le coupable par voie de réversibilité ». Les « justes » ne souffrent donc jamais inutilement, car leur souffrance permet de racheter les péchés de tous les autres. 

    Chez Bernanos, le « coupable » c’est Mouchette, qui établit un pacte avec le diable dans Sous le soleil de Satan ; et le « juste », c’est Chantal dans La Joie. Chantal c’est une jeune fille heureuse, qui ressent et vit sa mission dans la gaité. « Rien n’est hors de l’ordre, tout finit pour rentrer dans l’ordre de Dieu. Et puis, est-on jamais seule ? Peut-on avoir peur ? Peur de quoi ? », se dit-elle. Plus loin, elle dépasse le ressenti et élabore sa pensée : « J’ai compris ce qu’était le péché. Le péché, nous sommes tous dedans, les uns pour en jouir, d’autres pour en souffrir, mais à la fin du compte, c’est le même pain que nous rompons au bord de la fontaine, en retenant notre salive, le même dégoût. (…) Non ! je n’ai plus envie de me défendre, c’est fini… On n’a pas le droit de se défendre… Dieu ne garde aucun de nous comme un oiseau précieux, dans une volière… Il livre ses meilleurs amis, il les donne pour rien, aux bons, aux mauvais, à tout le monde, ainsi qu’il a été donné par Pilate : ’’Tenez, prenez, voici l’homme !’’ (…) quelle chose extraordinaire, parmi ce carnaval de soldats, de prêtres juifs et de filles fardées, la première communion de genre humain ! ». 

    Pour Barbey, la « réversibilité des mérites » s’exprime dans l’Histoire par la défaite de 1870 qui constitue une expiation (on pourrait même dire un « rachat »), de la Révolution. Au-delà de cette approche doctrinale (voire politique), on retrouve dans ses récits au moins un exemple évident d’une « juste » acceptant de souffrir chrétiennement pour autrui : la jeune Calixe qui, dans Un prêtre marié, est déterminée à racheter le péché du père, le prêtre Sombreval. Nul doute que Barbey aurait souhaité aller plus loin, car il avait annoncé qu’après Les Diaboliques il aurait rédigé un autre recueil de nouvelles, Les Célestes (qu’il aurait pu intituler Les Justes… ?) : mais, finalement, il s’est avéré qu’il était davantage fasciné par le péché que par la grâce, et Les Célestes ne verront jamais le jour. 

    Barbey écrivain catholique : jusqu’à quel point… ?

    Finalement, la question se pose : Barbey était-il, véritablement, un écrivain catholique ? Certes, ses récits sont farcis de prêtres, et lui-même se réclame constamment de la religion. Catholique, oui, dans le sens qu’il vivait dans ce monde dont il partageait les rites, les traditions et les croyances (autant politiques que religieuses) ; mais, contrairement à Bernanos, son œuvre ne me semble pas inspirée par la foi. Il n’y a pas de Chantal dans ses romans et nouvelles.

                                                                                                        Julien Sapori

     

     


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    BARBEY D’AUREVILLY

    « TOUT FEU TOUT FLAMMES »

    (MEME POST MORTEM !)

     

    Dans deux articles précédents du blog (publiés le 30 et le 31 août 2023)  je vous ai  informé de l’incendie qui, la nuit du 28 au 29 août 2023, a ravagé le Grand Hôtel du Louvre de Valognes, établissement dans lequel Barbey d’Aurevilly avait ses habitudes. Précédemment, j’avais publié dans le blog des articles dans lesquels je rendais compte de l’enquête effectuée en 2013 au Grand Hôtel du Louvre par une célèbre équipe de « chasseurs de fantômes » (RIP Production), qui avait pu entrer en contact avec le fantôme du « Connétable des lettres » (27 mars et 08 avril 2023), ainsi que des réactions particulièrement sceptiques de mon ami Alceste, un « hyper-rationaliste » ne croyant pas à l’existence des fantômes (article du 19 avril 2023 et précédents).

    Il y a du nouveau… 

     

     

    Illustrations : 

    -L’aiguille (avec son chas) découverte plantée sur la porte du Grand Hôtel du Louvre, à Valognes. La photo a été prise dans l'appartement de Barbey d'Aurevilly, à l'hôtel de Grandval-Caligny ; le poêle est celui que Barbey utilisait  (photo Julien Sapori). 

    -Frontispice du Grand Dictionnaire Moreri, édition de 1772. L’ouvrage connut vingt éditions entre 1674 et 1759 (coll. part.). 

    -Dessin représentant la rencontre de Dante avec l’empereur Manfred (Dante, Divine Comédie - Purgatoire, chant III), auteur inconnu, fin XIV siècle (coll. part.).   

    L’autre jour, je me promenais sur le trottoir de la rue des Religieuses à Valognes, et j’observais, mélancolique, les graves dégâts provoqués par cet incendie, lorsque mon attention fut attirée par un détail infime mais qui, pourtant, ne m’avait pas échappé : sur la porte d’entrée de l’hôtel-restaurant, à côté de l’affichette informant que l’immeuble était placé sous scellés, était plantée une aiguille. Quoi de plus banal ? Et pourtant, répondant à je ne sais pas quelle inspiration mystérieuse, je l’ai récupérée puis j’ai informé mon ami Alceste de sa découverte.

    Sa réponse n’a pas tardé à me parvenir. Elle m’a glacé. Alceste m’a expliqué que dans une certaine tradition populaire et catholique, les feux-follets sont considérés comme la manifestation d’esprits de l’outre-tombe qui sollicitent des prières pour anticiper leur sortie du Purgatoire. Ces feux-follets se manifestent uniquement la nuit, et il arrive qu’ils soient, accidentellement, à l’origine de certains incendies. 

    Le Grand dictionnaire Moreri de 1694 relate que ce phénomène a été constaté dans le village de Boncourt (aujourd’hui dans l’Eure-et-Loir), aux portes de la Normandie : « Ce village fut brûlé dans les quatre années qui ont précédé l’an 1670 par un feu extraordinaire dont on n’a pas pu découvrir ni la nature ni la cause (…). C’était une espèce de feu-follet, qui allait, venait et se joüait sur toute sorte de matières. (…) On a remarqué que pendant les quatre années que ce feu a paru, il était plus ardent vers la fin du mois d’août et vers le commencement de septembre [comme ça sera le cas à l’Hôtel du Grand Louvre !]. L’intendant de la généralité de Rouen en fit dresser en l’an 1670 un procès-verbal ».

    Revenons à l’aiguille trouvée sur la porte d’entrée du Grand Hôtel du Louvre. Pour se protéger des feux-follets, m’a expliqué Alceste, la croyance populaire préconisait de planter une aiguille sur les lieux de leur apparition, de manière à les obliger à passer à travers le chas et donc à les emprisonner. 

    Après ces explications d’Alceste, j’ai pris attache téléphoniquement avec un membre de l’équipe de « chasseurs de fantômes » de RIP Production qui, en 2013, avaient mené leur enquête sur le fantôme de Barbey d’Aurevilly au Grand Hôtel du Louvre : présence qui sera attestée à l’issue de leurs investigations. Il m’a immédiatement avoué que c’était lui qui avait planté cette aiguille dans la porte de l’hôtel, me priant de ne pas révéler son identité (ce que je me suis engagé à faire). Il m’a donc soufflé que le fantôme du « Connétable des lettres » a été, sans l’ombre d’un doute, à l’origine de cet incendie ! Oui, Barbey d’Aurevilly se trouve toujours au Purgatoire, depuis 134 ans, et il commence à en avoir marre ! Il a donc espéré que son apparition nocturne, sous la forme d’un feu-follet, aurait suscité les prières des vivants, susceptibles d’accélérer la date de sa délivrance du Purgatoire.

    Je précise qu’il est (ou était…) opinion courante que la durée du temps passé par les âmes des défunts au Purgatoire est calculée en fonction de la gravité du (ou « des ») péchés commis. A titre d’exemple, dans le chant III de son Purgatoire, Dante précise que pour les excommuniés, cette durée est égale à 30 fois la durée de l’excommunication. Voici le texte : 

    « Il est vrai que celui qui meurt hors de la communion  

    de la Sainte Église, même s’il se repent à la fin de sa vie,  

    doit rester en dehors de cette rive 

    autant de temps qu’il est resté dans son obstination,  

    et cela trente fois, à moins que ce décret  

    ne soit raccourci par de bonnes prières ».

     

    Celui qui parle ainsi est l’empereur Manfred (1232-1266) qui, excommunié à partir de 1254, a donc dû passer, en principe, 360 ans au Purgatoire. Certes, nous ne savons pas quel était l’état de l’âme de Barbey au moment de son décès, mais on peut facilement imaginer que, compte tenu de son caractère, il « mordait le frein ». D’où son désir de susciter, par son apparition en feu-follet au Grand Hôtel du Louvre, « de bonnes prières », susceptibles de réduire la durée de sa peine.   

    Mon interlocuteur a donc planté cette aiguille sur la porte, afin que Barbey ne réitère pas son apparition sous forme de feu-follet et qu’il ne provoque ainsi d’autres dégâts. Le chasseur de fantôme a même eu une révélation : en « haut lieu » (très, très, haut lieu !), on n’hésiterait pas à rendre l’âme de Barbey responsable de cet incendie qui a ravagé un monument historique et, pour le punir, il serait même question de prolonger de quelques siècles son séjour au Purgatoire !

    Diabolique… 

                                                                                      Julien SAPORI

     

    PS. Il va sans dire que je me suis empressé de replacer l’aiguille à l’endroit exact où je l’avais trouvée, de manière à empêcher toute réitération. Pour ce qui concerne les suites de l’enquête de la Gendarmerie, compte tenu de l’origine métaphysique de cet incendie, je doute fort qu’on puisse, un jour, en « découvrir ni la nature ni la cause ».

    Pour ce qui est des liens entre Barbey d’Aurevilly et Dante, voir mon article dans ce blog : « Barbey et Dante – simple inspiration ou transfert ? (30 décembre 2022) ».

     

     

     


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    L’ASSASSINAT DE L’ABBE DE LA CROIX-JUGAN DANS L’ENSORCELEE 

    D’autres écrivains se sont penchés sur les prêtres tués en disant la messe.

     

     

    Dans son roman L’Ensorcelée (1852) Barbey d’Aurevilly raconte l’assassinat de l’abbé de la Croix-Jugan. Ce prêtre, ancien chouan, doublement « coupable » aux yeux de l’Eglise, d’abord pour avoir pris les armes, puis pour avoir tenté de se suicider, est en train de célébrer la messe de Pâques dans l’église de Blanchelande, dans le département de la Manche désormais pacifié par la politique napoléonienne réunissant réconciliation et fermeté. 

    C’était une messe importante : « le temps de la pénitence que ses supérieurs ecclésiastiques avaient infligée à l’abbé de la Croix-Jugan était écoulé. Trois ans de la vie extérieurement régulière qu’il avait menée à Blanchelande avaient paru une expiation suffisante de sa vie de partisan et de son suicide ». Devant une foule nombreuse de fidèles, la messe atteignait son moment le plus sublime, celui de l’eucharistie. Pour les prêtres présents, l’abbé paraissait, à ce moment, transporté par la foi. Ils le « virent élever l’hostie sans tache, de ses deux mains tendues vers Dieu. Toute la foule était prosternée dans une adoration muette. Le ’’O salutaris hostia’’ allait sortir, avec sa voix d’argent, de cet auguste et profond silence… Elle ne sortit pas… Un coup de fusil partit du portail ouvert, et l’abbé de la Croix-Jugan tomba la tête sur l’autel. Il était mort. Des cris d’effroi traversèrent la foule, aigus, brefs, et tout s’arrêta, même la cloche qui sonnait le sacrement de la messe et qui se tut, comme si le froid d’une terreur immense était monté jusque dans le clocher et l’eût saisi ! Ah ! qui pourrait raconter dignement cette scène unique dans les plus épouvantables spectacles ? ». 

    Scène peut-être pas « unique » mais, c’est vrai, extrêmement rare. Barbey d’Aurevilly insiste sur le caractère absolument exceptionnel de ce crime ; d’ailleurs, dans son récit, il laisse le lecteur sur sa faim concernant l’identité de l’auteur de cet assassinat, tellement hors norme, qu’il baigne dans une ambiance de sorcellerie aussi irrationnel qu’inexplicable. 

    D’autres exemples existent dans la littérature. Giuseppe Tomasi Di Lampedusa en mentionne un dans l’unique roman qu’il a écrit, Le Guépard (1958). « Peu après, en haut d’une ruelle très raide, à travers les festons multicolores des caleçons étendus pour sécher, on entrevit une petite église naïvement baroque. ’’C’est Sainte-Nymphe. Le curé il y a cinq ans a été tué là-dedans pendant qu’il célébrait la messe’’. ’’Quelle horreur ! un coup de fusil dans une église !’’. ’’Mais non, pas de coups de fusil, Chevalley ! Nous sommes trop bons catholiques pour faire de pareils affronts. Ils ont simplement mis du poison dans le vin de la Communion ; c’est plus discret, plus liturgique, j’aimerais dire. On n’a jamais su qui l’a fait. Le curé était une excellente personne et il n’avait pas d’ennemis’’ ». 

    La Basse-Normandie de Barbey d’Aurevilly a laissé la place à la Sicile de Tomasi di Lampedusa. On pourrait, aussi, évoquer le roman de Graham Green, La Puissance et la Gloire (1940), qui relate la persécution des prêtres au Mexique dans les années 1930. Dans tous les cas, il s’agissait de régions rurales, considérées au XIXème et au XXème siècles comme réticentes au progrès, dans lesquelles persistait une forte tradition religieuse, accompagnée par le souvenir de guerres civiles parfois féroces ayant opposé des populations paysannes à un pouvoir lointain, perçu comme illégitime et autoritaire. A des milliers de kilomètres de distance, il a fallut que toutes ces conditions soient réunies pour pouvoir, finalement, concevoir l’inconcevable : l’assassinat d’un prêtre pendant la messe. 

              Pourtant l’inconcevable est revenu, dans un contexte historique et social complètement différent. Le 26 juillet 2016, le père Hamel a été tué lors de la messe qu’il tenait dans son église de Saint-Etienne-de-Rouvray, dans la Seine-Maritime, par deux terroristes islamistes. Stendhal a écrit qu’ « un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l'azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route ». Le « miroir » n’a pas tardé à trouver son promeneur, en la personne de l’écrivain Etienne de Montety qui a raconté cette tragédie dans son roman La Grande Epreuve (2020). « Hicham Boulaïd s’approche du père Tellier. Depuis qu’il est entré dans l’église, l’aube du prêtre lui est insupportable. C’est quoi ce blanc ? La couleur de la pureté ? Mais qui est pur, sinon Allah, que Son Nom soit glorifié ? Hicham l’empoigne. Il appuie sur son épaule pour le mettre à genoux. Il faudra bien qu’il en rabatte celui-là, qu’il s’incline devant Allah. Qu’il se prosterne devant Sa grandeur. ’’Au nom de Jésus Christ, ne fait pas ça ! Au nom de Jésus !’’  A ce nom, Hicham sent une force le traverser, une rage, une furie intérieure qui lui ordonne : ‘’’ Tue ! Tue !’’ ça hurle en lui. Comment faire taire la voix ? Il plonge sa lame dans la poitrine de l’homme en blanc. Une fois, puis une deuxième.  George s’écroule, le sang coule sur son vêtement. Hicham est soulagé, heureux de s’être soumis à cette injonction qui venait du plus profond de lui ».   

              Barbey d’Aurevilly, Tomasi di Lampedusa, Graham Green, Etienne de Montety : est-il possible de trouver un point commun entre ces quatre écrivains ?  Oui, et ce n’est pas la foi : c’est leur pessimisme. Ou bien faudrait-il parler de lucidité… ? 

                                                                                    Julien SAPORI 

    PS. Un film est en préparation sur L'Ensorcelée de Barbey d'Aurevilly, réalisateur : M. Jean-Marc Culiersi. Un autre film, sur l’assassinat du père Jacques Hamel commis dans son église de Saint-Étienne-du-Rouvray le 26 juillet 2016, est en cours de réalisation par Mme Cheyenne-Marie Carron ; sortie prévue pour le premier semestre 2024. 

     

     

     


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  •  ACTUALITÉS-SUITE

    UN INCENDIE A RAVAGÉ LE GRAND HOTEL DU LOUVRE DE VALOGNES, FRÉQUENTÉ PAR BARBEY D'AUREVILLY - 2

    I

    llustrations :
    -La façade du Grand Hôtel du Louvre de Valognes, deuxième moitié du XIXe siècle (coll. part.). 
    -La chambre n° 4 du Grand Hôtel du Louvre, celle où Barbey d'Aurevilly avait l'habitude de descendre (coll. part.).
     
    Je vous confirme ce que j'avais écrit dans mon petit article de hier, 30 août 2023. L'incendie qui a ravagé le GRAND HOTEL DU LOUVRE, 28 rue des Religieuses à Valognes, a fait de gros dégâts, mais la structure de l'édifice n'a pas été atteinte. La chambre n° 4, celle que BARBEY D'AUREVILLY avait l'habitude d'occuper lors de ses séjours entre 1864 et 1872, a été préservée, de même que la salle à manger où il prenait souvent ses repas, et la façade. Toutefois une grande partie du toit, charpente comprise, a été détruite par l'incendie. Des dégâts, en cours d'évaluation, ont aussi été provoqués par la grande quantité d'eau utilisée par les sapeurs-pompiers pour lutter pendant des heures contre les flammes. 
     
    Après passage de la commission de sécurité, l'hôtel faisait l'objet d'un arrêté de fermeture depuis le 24 mai 2022 pour non respect des mesures de sécurité, notamment en lien avec le risque d'incendie. En dépit de cette interdiction, il continuait à recevoir des clients, et ce dans des conditions de plus en plus précaires.
     
    L'investissement nécessaire à l'achat de l'hôtel, les réparations et la remise aux normes, sera conséquent. Il ne reste qu'à espérer qu'un repreneur sérieux se présente...
     
                                                                                           Julien SAPORI

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  • ACTUALITÉS

    UN INCENDIE A RAVAGÉ LE GRAND HOTEL DU LOUVRE DE VALOGNES, FRÉQUENTÉ PAR BARBEY D'AUREVILLY - 1

     

    Illustrations :
    -Cliché de Jacques COQUELIN : les pompiers en action au cours de la nuit.
    -Cliché de Julien SAPORI : le feu a détruit une partie du toit. 
     
    Dans la nuit du 28 au 29 août 2023, un terrible incendie a dévasté une partie du GRAND HOTEL DU LOUVRE, sis rue des Religieuses à Valognes (Manche). C'est dans cet hôtel que BARBEY D'AUREVILLY avait ses habitudes : il descendait à la chambre N° 4 et déjeunait toujours à la même table. A partir de 1872, il loua un appartement dans l'HOTEL GRANDVAL-CALIGNY, situé juste à côté, mais continua à se faire livrer ses repas par le GRAND HOTEL DU LOUVRE. C'est dans ces lieux qu'il rédigea une partie de son œuvre, et notamment plusieurs nouvelles des DIABOLIQUES.
    Les Sapeurs-Pompiers sont intervenus rapidement, déployant des moyens considérables, ce qui a permis de préserver une grande partie du GRAND HOTEL et, intégralement, les maisons voisines (y compris l'HOTEL GRANDVAL-CALIGNY qui n'a absolument pas été touché). Mais les dégâts sont quand même importants, une partie de la toiture ayant été détruite. D'après les premières constatations, la structure de l'édifice ne semble pas être en danger. On ignore, pour le moment, l'origine du sinistre. 
    Après ce désastre, quel sera l'avenir pour cet hôtel, certes "resté dans le jus" mais qui était, déjà, en vente, et qui fonctionnait cahin-caha ? Nul le sait pour le moment, mais sa sauvegarde représentera certainement un enjeu non seulement pour les amateurs de BARBEY D'AUREVILLY, mais aussi pour le patrimoine architectural de la ville de Valognes. A suivre.
     
                                                                                                                 Julien SAPORI

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