• ~ BARBEY D’AUREVILLY DECRIT PAR SON AMI LE POETE FRANCOIS COPPEE

     

     

    BARBEY D’AUREVILLY DECRIT PAR SON AMI LE POETE FRANCOIS COPPEE

     

    Illustrations :

    -Portrait de François COPPEE

    -BARBEY D’AUREVILLY dessiné par François COPPEE, devant la plaque  indiquant la rue Rousselet.

    -La chambre de BARBEY, rue Rousselet, avec le miroir évoqué par François COPPEE.

     

     

    ~ BARBEY D’AUREVILLY DECRIT PAR SON AMI LE POETE FRANCOIS COPPEE

     

    L’écrivain François COPPEE (1842-1908) est aujourd’hui oublié, mais à son époque il jouissait d’une grande popularité. Poète simple, attendrissant et sentimental (voir mièvre, dirons les mauvaises langues), élu à l’Académie Française en 1884, il chantait les humbles et les inconnus, la tendresse, les changements de saisons, les fleurs... Rien, dans son écriture comme dans sa vie personnelle, placide et bourgeoise, ne paraissait devoir le rapprocher du flamboyant BARBEY D’AUREVILLY :  pourtant une profonde amitié liait les deux hommes, qui se fréquentaient avec assiduité.

     

    François Coppée demeurait à Paris, au 12 rue Oudinot, à quelques centaines de mètres seulement de l’appartement de BARBEY, sis au 25 rue Rousselet dans le 7ème arrondissement. Le dimanche, le « Connétable des Lettres » rendait visite au poète parnassien, qui le recevait dans son logis où il vivait, célibataire, avec sa sœur Annette. Voici comment COPPEE décrit, avec beaucoup de sensibilité, l’apparence et la personnalité de son ami [1].

    « C'est de Valognes que sont datées presque toutes les Lettres à une amie [Louise READ]. Elles nous révèlent un D'AUREVILLY inconnu de ceux qui ne l'ont vu et jugé que superficiellement, dans l'attitude et avec le costume des personnages dessinés par DEVERIA et Tony JOHANNOT [célèbres illustrateurs de l’époque], affectant l'indifférence du dandy ou le désenchantement d'un René en retard, atteint du fameux “mal du siècle”[2]. Vous trouverez dans ces lettres un D'AUREVILLY tout autre, très capable d'attendrissement, plein de bonhomie, préoccupé par un envoi de soldats de plomb qu'il destine au petit garçon d'un de ses amis [il s’agit du violoniste Armand ROYER, de Valognes], accablant sa correspondante de commissions de toutes sortes, mais comprenant combien elle lui est précieuse, la remerciant de son dévouement avec une touchante sensibilité et lui montrant naïvement un cœur d'excellent homme, pénétré de reconnaissance. Mais, au fait, c'est là le D'AUREVILLY que j'ai connu et qui a vécu dans mon intimité. “Nous dînons, ce soir à l'hôtel COPPEE”, écrit-il à Mlle READ, moitié par plaisir, moitié par grandiloquence et goût du magnifique. Inutile de dire que le logis que j'habite depuis trente-cinq ans n'a rien de commun avec un somptueux hôtel et que nos dîners du dimanche n'étaient nullement servis par des laquais poudrés ».

    Concernant son appartement, situé au rez-de-chaussée et donnant sur un jardin, COPPEE est dans le vrai : loin d’être un « somptueux hôtel » (trait d’humour de BARBEY), les lieux étaient modestes. Voici la description qu’en fait Paul LEAUTAUD : « Toute la maison, d’après le peu que j’en ai vu, est très simple, très ’’petit bourgeois’’. Pas d’objets d’art. De vieux meubles acajou et tapisserie démodée, de vieilles petites peintures fades. Seulement, dans la salle à manger et le salon, des bustes, des portraits de COPPEE à différentes époques »[3] 

    Notons que le 12, rue Oudinot (jusqu’en 1851 appelée rue Plumet) est un lieu très littéraire, puisque c’est ici que Victor HUGO, dans les derniers chapitres des Misérables, fait habiter Jean VALJEAN vieillissant et sa protégée, COSETTE. « Tout l’hiver la petite maison de COSETTE était chauffée du haut en bas » tandis que Valjean lui-même « habitait l’espèce de loge de portier qui était dans la cour du fond, avec un matelas sur un lit de sangle ».  

    Reprenons le récit de François COPPEE. « Ces dîners étaient tout de même un bon moment pour le vieux garçon, une halte dans sa vie de travail solitaire. Certes, il était arrivé très paré, selon la mode - c'était son innocente faiblesse - du temps où il avait été très beau. Cravache en main, le chapeau sur l'oreille, quelque dentelle à sa cravate, le pantalon bien tendu par les sous-pieds sur les bottes vernies, la redingote à la GAVARNI [célèbre illustrateur de l’époque], sanglée et marquant la finesse de la taille ; il n'avait pas abdiqué le “gant jaune” d'autrefois, l'ancien “lion” du perron de TORTONI, et il faisait son entrée avec des façons de grand seigneur et de premier rôle. Mais on se mettait à table et le brave homme reparaissait tout de suite.

    Il y avait là ma sœur aînée, Mlle READ, souvent un ou deux camarades des lettres, parfois mes gentilles nièces, et, pour cet auditoire sans prétention, l'éblouissant causeur déployait sa pyrotechnie verbale, allumait toutes les fusées, tous les “soleils”, toutes les chandelles romaines de sa conversation. L'on s'attardait au dessert, on ne se levait pas - habitude excellente - pour boire le café ; et D'AUREVILLY redoublait alors de verve, s'amusait et nous amusait, nous criblait de mots, d'anecdotes et, en vrai gars normand qu'il était, demandait plusieurs fois des forces au flacon de cognac.

    Que tout cela est loin ! Mais c'est pour moi une grande douceur de penser que le vieux maître, après s'être enfermé, comme il le faisait chaque semaine, pendant plusieurs jours entièrement consacrés à la lecture et à la “copie”, a quelquefois trouvé, dans mon modeste intérieur, l'illusion d'une famille.

    L'illusion ! J'ai dit le mot. Elle fut la toute-puissante, la souveraine dans l'existence de D'AUREVILLY. Pour cet homme de prodigieuse imagination, tout se transfigurait, les personnes comme les choses, les événements comme les spectacles. Pour ce poète, - car nul ne fut plus poète que ce prosateur - le moindre sentiment s'embellissait d'une couleur romanesque ; l'objet le plus insignifiant lui suggérait un beau rêve.

    J'acquis, un jour, une preuve singulière de la puissance de l'illusion chez ce dernier des romantiques. Accompagné d'un camarade, j'étais allé le chercher dans sa chambre unique et très prosaïquement meublée de la rue Rousselet, pour l'emmener dîner en ville. Nous le trouvâmes devant son armoire à glace, donnant un dernier coup d'œil à sa toilette, et, tout à coup, il me dit, avec un accent profond, où flottait de la rêverie : “J'aime cette glace, monsieur... Elle ressemble à un lac.” L'armoire était un meuble quelconque, en acajou plaqué, tel qu'on en trouve dans toutes les chambre d'hôtel garni. Nous étions sans doute atteints, mon compagnon et moi, par le détestable fléau du réalisme, car, derrière le dos de D'AUREVILLY, nous échangeâmes un sourire.

    Eh bien ! toutes réflexions faites, je le déclare bien haut aujourd'hui, c'est nous qui avions tort. Oui, c'est nous qui manquions d'imagination, nous qui étions les bourgeois, les philistins, les “épiciers”, comme on disait en 1830 ; et le poète, c'était lui, l'admirable et heureux visionnaire, pour qui n'existait rien de médiocre, de laid et de trivial et qui, devant une glace de camelote, se transportait sur les ailes de la chimère, à Interlaken ou à Lugano.

    Mais je n'en finirais pas, si je m'attardais aux souvenirs qui me reviennent en foule en pensant à D'AUREVILLY. J'ai voulu seulement ici déplorer, une fois, l'injuste pénombre qui voile à demi l'œuvre imposante d'un écrivain du plus haut talent, et rappeler aussi quelle fière dignité, quelle hautaine attitude conserva toujours ce gentilhomme pauvre, ce dandy dans la gêne, qui, jusqu'à l'âge de quatre-vingt ans, a vaillamment gagné sa vie à la pointe de la plume et qui m'a dit, en une heure de confidence, ce mot qui est vraiment signé de son parafe : “J'ai connu de mauvais jours, monsieur, mais je n'ai jamais quitté mon gant blanc”. »[4]

    Une mélancolique et magnifique leçon de dignité.

     

                                                                                         Julien SAPORI

     

    [1] François Coppée, « Barbey d'Aurevilly intime », Les Annales, n° 2192, 28 juin 1925.

    [2] René est un roman de Chateaubriant publié en 1802, souvent considéré comme l’acte fondateur du romantisme français. Le « mal du siècle » c’est celui de toute une génération d’artistes atteints par la mélancolie et le spleen.  

     [3] Paul Léautaud (1872-1956), Journal littéraire.

    [4] François Coppée, « Barbey d'Aurevilly intime », Les Annales, n° 2192, 28 juin 1925. 

     


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  • Commentaires

    1
    Frederic
    Jeudi 21 Septembre 2023 à 18:16

    Bonjour monsieur, je suis vos travaux et vos livres.

    Vous êtes un homme de valeur.

    Ce pourquoi j'ai été choqué que vos valeurs ne soient pas partagées par votre fils Marc.

    En effet, j'ai découvert sur M6 un reportage sur les travestis et il s'accouple avec.

    Voici le lien vidéo à copier sur internet pour la visualiser:

    https://www.youtube.com/watch?v=Ggp3shtQCIQ      

    Dans la vidéo à 47min52 on le voit expliquer qu'il n'est pas gay mais entretient des rapports intimes avec eux.

    Nous espérons qu'en tant que modèle, que vous n'étiez pas au courant.

    Bon courage 

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