•  

    DANS LE DISCOURS PRONONCE’ PAR FRANCOIS SUREAU LORS DE SON INTRONISATION A L’ACADEMIE FRANCAISE LE 3 MARS 2022, IL ETAIT QUESTION DE BARBEY D’AUREVILLY 

     

    A l’occasion de son intronisation à l’Académie Française au fauteuil précédemment occupé par Max GALLO, l’avocat et romancier François SUREAU évoque, entre autres « immortels », BARBEY D’AUREVILLY.

     

    Illustrations :

    -Intronisation à l’Académie Française, le 3 mars 2022, de M. François SUREAU (coll. part.). 

    « Mesdames et Messieurs de l’Académie,

    Avant de m’asseoir parmi vous, suprême récompense des talents incertains d’eux-mêmes, laissez-moi rester quelques instants debout parmi les vivants et les ombres. Aux vivants je dois ce remerciement que je ferai tout à l’heure. Quant aux ombres, je voudrais faire apparaître, bien sûr, celle de LA FONTAINE, qui fut un moment avocat à Paris et reste à jamais le plus vivant d’entre nous, lui qui dormait vingt heures sur vingt-quatre et ne se réveillait que pour la poésie et pour l’amour ; mais l’ombre aussi de CHATEAUBRIAND exposé pour toujours au silence et au vent de la mer, et celle de Deniau revenant du Panshir, et celle de Jean D’ORMESSON parlant d’AUGUSTIN avec Ayyam WASSEF, et j’étais ébloui, et cet éblouissement n’a pas cessé. Je m’en serais voulu d’annexer ainsi, à l’instar d’un député des candidatures multiples, d’autres fauteuils que le mien, si je ne m’étais souvenu que l’Académie, c’est une Compagnie dans laquelle on entre, et non une circonscription dont on hérite. Qu’elle soit aussi la Compagnie des morts a tout pour me réjouir. Plus qu’à BARRES, dont le délire antisémite ne parvient cependant pas à faire oublier ni ce qui l’unissait à PROUST, ni l’amour d’Aragon, je pense aujourd’hui à Hugo, qui a souffert pendant vingt ans sur son île de voir la police partout et la justice nulle part ; HUGO, l’inlassable avocat des États-Unis d’Europe et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ; HUGO auquel mon prédécesseur à ce fauteuil a peut-être consacré son plus beau livre et qui écrit dans ’’Les Châtiments’’ un vers que nous ne devrions pas pouvoir lire aujourd’hui sans frémir : ’’Ma liberté, mon bien, mon ciel bleu, mon amour - Tout l’univers aveugle est sans droit sur le jour’’. 

    Oui, il fait bon évoquer ces ombres, et avec elles ce combat inconnu du reste du monde où s’unissent les espérances de Louise MICHEL et celles d’Armand de LA ROUERIE, celles d’André BRETON et celles de BARBEY, dans le refus obstiné d’un ordre des choses auquel on ne mettra jamais assez d’italiques ; refus qui, on le sait bien, trouve son origine dans l’enfance, dans les sortilèges de l’enfance, vite détruits par le poids des regrets et le scintillement des carrières ».  

    Certaines de ces « ombres » du passé mentionnées par M. François SUREAU nous les avons souvent évoquées dans ce blog dédié à BARBEY D’AUREVILLY, qu’il s’agisse de Victor HUGO (que BARBEY détestait) ou de PROUST (qui rend hommage au « Connétable des Lettres » dans A la recherche du temps perdu). En dépit de la critique aussi féroce que brillante de l’Académie Française qu’il avait formulé dans un article publié en 1864, Les 40 médaillons de l’Académie, on peut donc constater que BARBEY y est donc encore bien présent au XXI siècle… spirituellement. Le « Connétable des Lettres » est devenu, lui aussi, d’une certaine manière, un « immortel » ! 

    PS. Merci à M. Jacques BESNARD pour nous avoir signalé cet évènement.  

     

                                                                                           Julien SAPORI  

     


    votre commentaire
  • 4000 !!!


    votre commentaire
  •  

    BARBEY D’AUREVILLY ET LE

    "SAR MERODAK" JOSEPHIN PELADAN

    Barbey d’Aurevilly avait beaucoup de qualités, mais certainement pas celle d’être un perspicace découvreur de talents. Il avait prévu un grand avenir pour un écrivain fantasque qui venait de loin et qui n’est allé nulle part : Joséphin Péladan.

     

    Illustrations :

    -Portrait du « Sâr Mérodack Joséphin Péladan », par Marcellin Desboutin, musée des beaux-arts d’Angers (coll. part.). Connu pour ses vêtements extravagants, Péladan s’était présenté à Bayreuth habillé d’une longue tunique bleu ciel, d’un jabot de dentelle et de bottes de daim, avec un parapluie retenu par un baudrier, ce qui avait décidé la veuve de Wagner à ne pas le recevoir. Cela ne l’avait pas dissuadé de publier les œuvres de Wagner en français, avec ses annotations « en matière de thérapeutique pour désintoxiquer la France de son matérialisme ».

    -Tombe de Joséphin Péladan au cimetière des Batignolles à Paris (coll. part.). Elle est aussi tapageuse et de mauvais goût que l’était son titulaire de son vivant.   

    On connaît l’admiration sans bornes du « Connétable des Lettres » pour Balzac : « Balzac, le plus grand romancier de tous les temps et de tous les pays », avait-il écrit. Et pourtant, en préfaçant en 1884 le livre d’un « jeune homme, inconnu encore », il n’hésitera pas à écrire que le romancier tourangeau devra désormais s’attaquer à un talent supérieur au sien, car capable d’avoir réalisé un projet bien plus ambitieux que La Comédie humaine : la synthèse romanesque de « la plus belle race qui ait jamais existé sur terre – de la race latine qui se meurt ». Il s’agissait du roman d’un certain Joséphin Péladan, âgé de 26 ans, intitulé Le Vice Suprême, premier volume d’un cycle de vingt-et-un volumes, intitulé l'Éthopée de la décadence latine, tous mettant en scène la lutte des forces secrètes contre la civilisation humaine, et se situant dans la mouvance conspirationniste et occultiste très en vogue à la fin du XIXe siècle.   

    Le romancier Peladan, grand-maître de l’Ordre des Rose-Croix Catholique et Esthétique du Temple et du Graal, non content de se faire appeler « Sâr Mérodack » (« sar » dans l’antique langue assyrienne, signifiant « roi »), sera aussi initié en 1888 par le célèbre occultiste Papus à la loge martiniste de Paris, rue Pigalle. Cet ésotérisme caricatural voulait combattre les forces « matérialistes » acharnées à détruire la chrétienté. Oswald Wirth a écrit à son sujet que son « savoir était plus brillant que solide, [et il] ne tarda pas à se dérober aux discussions qui le mettaient sur la sellette. (…) Il était alors grisé par le succès de son [roman] ’’Le Vice Suprême’’ et par la curiosité qu'il éveillait dans les salons, où il s'attachait à faire sensation ». 

    Qu’est-ce qui faisait que Barbey était à ce point attiré par ce médiocre esbroufeur, né en 1858 à Lyon et décédé à Neully-sur-Seine en 1918, complètement oublié ?  

    Il semble bien que le « Connétable des Lettres » partageait avec le « Sar Mérodack » trois passions : pour les vêtements extravagants, pour les salons légitimistes et ultra-montains parisiens, et aussi pour une certaine conception du catholicisme, conçu comme le dernier rempart du vieux monde face à la décadence qui le guettait. Les écrivains catholiques se devaient d’être des guerriers, et armés du sabre et de la plume, combattre avec acharnement les supporteurs des idées nouvelles et de la démocratie, incarnées par Emile Zola ; « ce Porc-Zola, ce pourceau qui est en même temps un âne », comme le décrivait le Sâr Mérodack.   

    Pas reconnaissant pour la sympathie que Léon Bloy lui avait manifestée lors de ses débuts, en 1889 Péladan accusera ce dernier et Louise Read d’avoir laissé mourir Barbey sans l’assistance d’un prêtre (ce qui était complètement faux), fait pour lequel il sera condamné pour diffamation en 1891 par le Tribunal de la Seine. 

                                                                                            Julien SAPORI

     



    [1] Oswald Wirth, Stanislas de Guaita, Editions du Symbolisme, Paris, 1935, p. 27-28.


    votre commentaire
  •  

    BARBEY D’AUREVILLY ET JAVERT

     

    Barbey détestait Les Misérables, qu’il considérait comme un mélodrame farci de personnages caricaturaux. Un forçat qui devient maire et bienfaiteur ? Inexistant, absurde même. A ses yeux, un seul protagoniste des Misérables est à la fois « vrai » et digne d’intérêt : l’inspecteur Javert.

     

    En 1862, Barbey se livrait à une critique des Misérables de Victor Hugo qui est une véritable « mise à mort ». Passionné et excessif comme toujours, Barbey prétendait que le roman sera bientôt oublié, et que le silence tombera « sur ce livre qui va s’engloutir dans la nécropole des Œuvres complètes. Demain, Jean Valjean sera plus profondément ignoré que Han d’Islande et Bug-Jargal… Consummatum est ! ». Pas vraiment prophète le « Connétable des Lettres » qui, en bon conservateur qu’il était, dénonçait « le dessein du livre de M. Hugo, qui est de faire sauter toutes les institutions sociales (…) avec des larmes et de la pitié ». Mais sa critique était davantage du domaine littéraire que politique : ce que Barbey ne supportait pas dans Les Misérables, ce sont les personnages qui, à ses yeux, n'étaient que des comparses stéréotypés et absurdes, « à l’exception d’un seul (…), l’inspecteur de police Javert, car celui-là est, je ne dirai pas observé, mais composé, avec plus de profondeur que je n’en attendais de M. Hugo ».

    Je rappelle qu’à la fin des Misérables, Javert laisse en liberté Jean Valjean, un homme qui avait violé la loi et qu’il venait d’arrêter après des années de traque. Ce qu’il vient de faire remet en cause toutes ses convictions, et lui pose un problème déontologique inextricable que Victor Hugo décrit sur de longues pages. « L'idéal pour Javert, ce n'était pas d'être humain, d'être grand, d'être sublime ; c'était d'être irréprochable. Or, il venait de faillir. (…) ’’J'ai souvent été sévère dans ma vie. Pour les autres. C'était juste. Je faisais bien. Maintenant, si je n'étais pas sévère pour moi, tout ce que j'ai fait de juste deviendrait injuste. Est-ce que je dois m'épargner plus que les autres ?’’ ». Finalement, Javert ne trouve qu’une seule issue à ses questions, et la nuit du 6 au 7 juin 1832 il se précipite du haut du pont Notre-Dame dans la Seine, où il se noie.

    Comme Socrate, Javert a donc décidé de rester cohérent avec son système de valeurs au prix de sa vie. Cela devrait susciter, sinon de l’admiration, au moins un certain respect. Et bien non.  Aux yeux des lecteurs des Misérables, il reste « un monstre », « une bête féroce », et même « l’ennemi absolu », pire encore que les Thénardier ! Voici ce qu’écrivait à son sujet Baudelaire en 1885 : « J’ai entendu quelques personnes, sensées d’ailleurs, qui, à propos de ce Javert, disaient : ’’Après tout, c’est un honnête homme ; et il a sa grandeur propre’’. […] Pour moi, je le confesse, au risque de passer pour un coupable […] Javert m’apparaît comme un monstre incorrigible, affamé de justice comme la bête féroce l’est de chair sanglante, bref, comme l’Ennemi absolu ».

    Barbey se place parmi les rares lecteurs des Misérables trouvant que le personnage de Javert est non seulement « vrai », mais même « admirable ». Il considère que Javert est « composé si bien qu’on dirait qu’il est vrai ! L’inspecteur de police, nuancé avec un art nouveau par M. Hugo, et dominant toutes les autres figures du livre, qui ne sont au fond que des charges : l’évêque, le forçat, la fille-mère ! Complexe réalité, profondément étudiée, mais qui soufflète tout le système de M. Hugo et la conception de son livre, en montrant combien la société est auguste, dans ses répressions et dans ses disciplines, puisqu’elle communique toute sa grandeur à l’abjection même d’un mouchard. Force irrésistible d’une idée vraie ! Le mouchard a malgré sa vileté, sous la plume anti-sociale de M. Hugo, dans les Misérables, une grandeur que n’a pas Valjean, malgré ses hauts mérites de forçat ! ».

    A défaut de changer le monde (ce qui n’a jamais été la mission de la police), Javert pense sauver son honneur et celui de l’institution qu’il a choisi de servir au prix de sa vie. C’est un message que beaucoup de donneurs de leçon devraient méditer.

                                                                          Julien SAPORI

     


    votre commentaire
  •  

    BARBEY D’AUREVILLY ET LE LYNX

     

    Illustrations :

    -La cheminée de Grandval-Caligny, devant laquelle Barbey d’Aurevilly se réchauffait lors de ses séjours à Valognes. A noter la présence d’une bouteille de liqueur emblématique, avec le dessin d'une tête de lynx.

    -Les armoiries de la ville de Valognes avec le lynx.

     

    Mon article dans le blog daté du 23 janvier 2023, intitulé Joel Dupont a rejoint Barbey d’Aurevilly, était illustré d’une photo représentant une cheminée. Il s’agissait d’une des cheminées de l’hôtel de Grandval-Caligny, située plus précisément dans l’appartement loué par le « Connétable des Lettres », et dans lequel il a écrit, entre autres, sa nouvelle Le Rideau cramoisi. La cheminée est d’époque, et l’écrivain en a certainement admiré la facture (céramiques hollandaises de Delft) et le feu lors de ses soirées solitaires à Valognes. Plusieurs d’entre vous m’ont interrogé au sujet des objets qui l’encombrent, et notamment la présence d’une bouteille de liqueur. Comme le dit souvent un cher ami manchois, « il n’y a pas de hasard » ; et effectivement, la présence de cette bouteille s’explique par une allusion au bestiaire de Barbey.

     

    On connaît l’admiration et même l’amour de Barbey (amour frôlant parfois la mignardise) pour les chats, en primis sa Démonette, parée de toutes les vertus : grâce, férocité, élégance, sensualité. Dans le Cinquième Memorandum, il décrit la présence, dans un cabaret de Carteret, d’un magnifique « chat au museau court, aux yeux dilatés et superbes, qui n’a pas quitté ses genoux, familier comme s’il n’habitait pas une rive sauvage. Délicieux, ce chat ».

     Mais un autre félin, bien plus sauvage que le chat domestique, attirait l’attention de Barbey : le lynx. Dans Le Chevalier des Touches, il décrit le « majestueux chanoine » de Percy qui garde de « longs cheveux, fins et blancs comme le duvet d’un cygne » et possède des magnifique « yeux de lynx », inoubliables. Dans Une vieille maîtresse, le lynx est mentionné à deux reprises. « Quand M. de Marigny eut achevé sa grande confidence à Mme la marquise de Flers, ne voilà-t-il pas qu’il eut peur. Il avait tout dit avec la sincérité d’une âme qui se confie dans l’âme qui écoute ; il avait ouvert son passé, dans les replis les plus secrets, à ces yeux de lynx qu’il ne redoutait pas ». Plus loin, le vieux vicomte de Prosny est décrit par la comtesse comme « un vieux lynx. Il est très fin et très madré ».  

     Le lynx pour Barbey est, par nature, un animal noble, au même titre que le lion. Cette noblesse s’exprime essentiellement par son regard intense, ce qui renvoie à une tradition populaire multiséculaire qu’on retrouve dans toute l’Europe : l’animal disposerait d’une vue extraordinairement perçante, capable de voir même à travers les murs. On pensait également que ses yeux brillants pouvaient rendre aveugle tant leur lumière était intense. Ces qualités visuelles légendaires et exceptionnelles, faisaient de lui le symbole de la perspicacité, et étaient devenus non seulement le symbole de la police (censée tout voir…) mais aussi de la ville de Valognes, dont les armoiries arborent un lynx, souvenirs de la malice et de l’esprit des dialogues qui avaient lieux dans les salons du « Versailles Normand ».

    Revenons-en à ma bouteille de liqueur, bien en évidence sur la cheminée de l’hôtel de Grandval-Caligny. Elle arbore une tête de lynx, symbole à la fois de Barbey, de Valognes et de la police. Aucune raison d’y voir une allusion à une addiction à l’alcool ! 

                                                                                  Julien SAPORI


    votre commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires