• ~ BARBEY D’AUREVILLY ET LE "SAR MERODAK" JOSEPHIN PELADAN

     

    BARBEY D’AUREVILLY ET LE

    "SAR MERODAK" JOSEPHIN PELADAN

    Barbey d’Aurevilly avait beaucoup de qualités, mais certainement pas celle d’être un perspicace découvreur de talents. Il avait prévu un grand avenir pour un écrivain fantasque qui venait de loin et qui n’est allé nulle part : Joséphin Péladan.

     

    Illustrations :

    -Portrait du « Sâr Mérodack Joséphin Péladan », par Marcellin Desboutin, musée des beaux-arts d’Angers (coll. part.). Connu pour ses vêtements extravagants, Péladan s’était présenté à Bayreuth habillé d’une longue tunique bleu ciel, d’un jabot de dentelle et de bottes de daim, avec un parapluie retenu par un baudrier, ce qui avait décidé la veuve de Wagner à ne pas le recevoir. Cela ne l’avait pas dissuadé de publier les œuvres de Wagner en français, avec ses annotations « en matière de thérapeutique pour désintoxiquer la France de son matérialisme ».

    -Tombe de Joséphin Péladan au cimetière des Batignolles à Paris (coll. part.). Elle est aussi tapageuse et de mauvais goût que l’était son titulaire de son vivant.   

    On connaît l’admiration sans bornes du « Connétable des Lettres » pour Balzac : « Balzac, le plus grand romancier de tous les temps et de tous les pays », avait-il écrit. Et pourtant, en préfaçant en 1884 le livre d’un « jeune homme, inconnu encore », il n’hésitera pas à écrire que le romancier tourangeau devra désormais s’attaquer à un talent supérieur au sien, car capable d’avoir réalisé un projet bien plus ambitieux que La Comédie humaine : la synthèse romanesque de « la plus belle race qui ait jamais existé sur terre – de la race latine qui se meurt ». Il s’agissait du roman d’un certain Joséphin Péladan, âgé de 26 ans, intitulé Le Vice Suprême, premier volume d’un cycle de vingt-et-un volumes, intitulé l'Éthopée de la décadence latine, tous mettant en scène la lutte des forces secrètes contre la civilisation humaine, et se situant dans la mouvance conspirationniste et occultiste très en vogue à la fin du XIXe siècle.   

    Le romancier Peladan, grand-maître de l’Ordre des Rose-Croix Catholique et Esthétique du Temple et du Graal, non content de se faire appeler « Sâr Mérodack » (« sar » dans l’antique langue assyrienne, signifiant « roi »), sera aussi initié en 1888 par le célèbre occultiste Papus à la loge martiniste de Paris, rue Pigalle. Cet ésotérisme caricatural voulait combattre les forces « matérialistes » acharnées à détruire la chrétienté. Oswald Wirth a écrit à son sujet que son « savoir était plus brillant que solide, [et il] ne tarda pas à se dérober aux discussions qui le mettaient sur la sellette. (…) Il était alors grisé par le succès de son [roman] ’’Le Vice Suprême’’ et par la curiosité qu'il éveillait dans les salons, où il s'attachait à faire sensation ». 

    Qu’est-ce qui faisait que Barbey était à ce point attiré par ce médiocre esbroufeur, né en 1858 à Lyon et décédé à Neully-sur-Seine en 1918, complètement oublié ?  

    Il semble bien que le « Connétable des Lettres » partageait avec le « Sar Mérodack » trois passions : pour les vêtements extravagants, pour les salons légitimistes et ultra-montains parisiens, et aussi pour une certaine conception du catholicisme, conçu comme le dernier rempart du vieux monde face à la décadence qui le guettait. Les écrivains catholiques se devaient d’être des guerriers, et armés du sabre et de la plume, combattre avec acharnement les supporteurs des idées nouvelles et de la démocratie, incarnées par Emile Zola ; « ce Porc-Zola, ce pourceau qui est en même temps un âne », comme le décrivait le Sâr Mérodack.   

    Pas reconnaissant pour la sympathie que Léon Bloy lui avait manifestée lors de ses débuts, en 1889 Péladan accusera ce dernier et Louise Read d’avoir laissé mourir Barbey sans l’assistance d’un prêtre (ce qui était complètement faux), fait pour lequel il sera condamné pour diffamation en 1891 par le Tribunal de la Seine. 

                                                                                            Julien SAPORI

     



    [1] Oswald Wirth, Stanislas de Guaita, Editions du Symbolisme, Paris, 1935, p. 27-28.


    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :