• ~ BARBEY D’AUREVILLY ET LE LYNX

     

    BARBEY D’AUREVILLY ET LE LYNX

     

    Illustrations :

    -La cheminée de Grandval-Caligny, devant laquelle Barbey d’Aurevilly se réchauffait lors de ses séjours à Valognes. A noter la présence d’une bouteille de liqueur emblématique, avec le dessin d'une tête de lynx.

    -Les armoiries de la ville de Valognes avec le lynx.

     

    Mon article dans le blog daté du 23 janvier 2023, intitulé Joel Dupont a rejoint Barbey d’Aurevilly, était illustré d’une photo représentant une cheminée. Il s’agissait d’une des cheminées de l’hôtel de Grandval-Caligny, située plus précisément dans l’appartement loué par le « Connétable des Lettres », et dans lequel il a écrit, entre autres, sa nouvelle Le Rideau cramoisi. La cheminée est d’époque, et l’écrivain en a certainement admiré la facture (céramiques hollandaises de Delft) et le feu lors de ses soirées solitaires à Valognes. Plusieurs d’entre vous m’ont interrogé au sujet des objets qui l’encombrent, et notamment la présence d’une bouteille de liqueur. Comme le dit souvent un cher ami manchois, « il n’y a pas de hasard » ; et effectivement, la présence de cette bouteille s’explique par une allusion au bestiaire de Barbey.

     

    On connaît l’admiration et même l’amour de Barbey (amour frôlant parfois la mignardise) pour les chats, en primis sa Démonette, parée de toutes les vertus : grâce, férocité, élégance, sensualité. Dans le Cinquième Memorandum, il décrit la présence, dans un cabaret de Carteret, d’un magnifique « chat au museau court, aux yeux dilatés et superbes, qui n’a pas quitté ses genoux, familier comme s’il n’habitait pas une rive sauvage. Délicieux, ce chat ».

     Mais un autre félin, bien plus sauvage que le chat domestique, attirait l’attention de Barbey : le lynx. Dans Le Chevalier des Touches, il décrit le « majestueux chanoine » de Percy qui garde de « longs cheveux, fins et blancs comme le duvet d’un cygne » et possède des magnifique « yeux de lynx », inoubliables. Dans Une vieille maîtresse, le lynx est mentionné à deux reprises. « Quand M. de Marigny eut achevé sa grande confidence à Mme la marquise de Flers, ne voilà-t-il pas qu’il eut peur. Il avait tout dit avec la sincérité d’une âme qui se confie dans l’âme qui écoute ; il avait ouvert son passé, dans les replis les plus secrets, à ces yeux de lynx qu’il ne redoutait pas ». Plus loin, le vieux vicomte de Prosny est décrit par la comtesse comme « un vieux lynx. Il est très fin et très madré ».  

     Le lynx pour Barbey est, par nature, un animal noble, au même titre que le lion. Cette noblesse s’exprime essentiellement par son regard intense, ce qui renvoie à une tradition populaire multiséculaire qu’on retrouve dans toute l’Europe : l’animal disposerait d’une vue extraordinairement perçante, capable de voir même à travers les murs. On pensait également que ses yeux brillants pouvaient rendre aveugle tant leur lumière était intense. Ces qualités visuelles légendaires et exceptionnelles, faisaient de lui le symbole de la perspicacité, et étaient devenus non seulement le symbole de la police (censée tout voir…) mais aussi de la ville de Valognes, dont les armoiries arborent un lynx, souvenirs de la malice et de l’esprit des dialogues qui avaient lieux dans les salons du « Versailles Normand ».

    Revenons-en à ma bouteille de liqueur, bien en évidence sur la cheminée de l’hôtel de Grandval-Caligny. Elle arbore une tête de lynx, symbole à la fois de Barbey, de Valognes et de la police. Aucune raison d’y voir une allusion à une addiction à l’alcool ! 

                                                                                  Julien SAPORI


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