• ~ DIALOGUE IMAGINAIRE ENTRE BARBEY D’AUREVILLY ET UN VENDEUR D’ALMANACHS

     

    DIALOGUE IMAGINAIRE ENTRE BARBEY D’AUREVILLY ET UN VENDEUR D’ALMANACHS

     (DIRECTEMENT INSPIRE’ D’UN TEXTE DE

    GIACOMO LEOPARDI) 

    Illustration : almanach 1880 (coll. part.). Barbey d’Aurevilly l’a peut-être eu entre les mains…

    Une nouvelle année débute. J’ai tâché d’imaginer ce que Barbey d’Aurevilly aurait pu penser et écrire des nouvelles années qui commencent et qui sont censées être, toujours, meilleures que celles qui les ont précédées. Un pessimiste tel que lui, nostalgique du passé, ayant en horreur son époque, pouvait-il y croire ? Et nous-mêmes, est-ce que, vraiment, nous y croyons ? En tout cas, nous l’espérons, tous et toujours... alors que, sur le fond, on est en réalité plutôt sceptique. « Je vous apporte mes vœux – Merci. Je tâcherai d’en faire quelque chose », écrivait Jules Renard.

     

    Le poète italien Giacomo Leopardi (1798-1837) a écrit en 1832 un petit dialogue intitulé Dialogue d’un passager et d’un vendeur d’almanachs, qui a été intégré dans son livre en prose Operette Morali, publié en 1835 à Naples. Barbey aurait pu donc le lire, mais rien ne nous indique qu’il l’ait fait… même si rien n’atteste qu’il ne l’a pas fait ! Dans ce dialogue, Leopardi s’identifie au « Passager » qui, suivant la méthode de Socrate, interroge le vendeur d’almanachs et, avec sa logique implacable, l’incite à faire siennes ses conclusions : oui, la vie nous déçoit, toujours, et le bonheur est à rechercher uniquement dans l’espoir que le futur sera meilleur que le passé et le présent. Espoir qui, pour les personnes lucides, est destiné à rester une posture…

    Barbey détestait – à tort ! Leopardi, son contemporain (cf. mon livre Barbey d’Aurevilly et l’Italie – une absence pleine de sens). Et pourtant, je suis certain qu’il aurait souscrit à ce dialogue imaginaire. J’ai donc repris intégralement le texte d’origine de Leopardi (me limitant uniquement à remplacer le personnage du « Passager » par celui de Barbey, et à modifier le prix de l’almanach, avec un coût ramené en centimes de francs).

    Bonne lecture et… bonne année 2024 ! Car je suis convaincu qu’ « avec l’année nouvelle, le destin va enfin nous traiter favorablement, vous et moi, tout le monde, et nous allons être heureux ». N’est-ce pas… ?

     

    Le MarchandAlmanachs, almanachs nouveaux ! Vous voulez des almanachs, monsieur ?

    Barbey d’Aurevilly – Des almanachs pour l’année nouvelle ?

    Le Marchand – Oui, monsieur.

    Barbey d’Aurevilly – Croyez-vous qu’elle sera heureuse, cette nouvelle année ?

    Le Marchand – Oh oui, Excellence, oui !

    Barbey d’Aurevilly – Comme celle qui va finir ?

    Le Marchand – Oh ! Beaucoup, beaucoup plus !

    Barbey d’Aurevilly – Comme celle d’avant ?

    Le Marchand – Beaucoup, beaucoup plus !

    Barbey d’Aurevilly – Comme quelle autre, alors ? Ne vous plairait-il pas que l’année nouvelle fût pareille à quelqu’une de ces dernières années ?

    Le Marchand – Non, Monsieur, cela ne me plairait guère.

    Barbey d’Aurevilly – Depuis combien de temps vendez-vous des almanachs ?

    Le Marchand – Depuis vingt ans, Monsieur.

    Barbey d’Aurevilly – A laquelle de ces vingt années voudriez-vous que ressemblât l’année qui vient ?

    Le Marchand – Moi ? Je ne sais pas.

    Barbey d’Aurevilly – Vous ne vous souvenez pas de quelque année qui vous ait paru heureuse ?

    Le Marchand – Ma foi, non Monsieur.

    Barbey d’Aurevilly – Et pourtant la vie est une bonne chose, n’est-ce pas ?

    Le Marchand – Oh oui !

    Barbey d’Aurevilly – Vous voudriez bien revivre ces vingt années, et même toutes vos années depuis votre naissance ?

    Le Marchand – Je crois bien, mon cher monsieur, et plût à Dieu que cela fût possible !

    Barbey d’Aurevilly – Même si cette vie était exactement celle que vous avez vécue, ni plus ni moins, avec les mêmes plaisirs, les mêmes ennuis ?

    Le Marchand – Ah ! Cela, non, par exemple !

    Barbey d’Aurevilly – Quelle vie voudriez-vous, donc ?

    Le Marchand – Une vie comme ça, celle que Dieu me donnerait, sans autres conditions.

    Barbey d’Aurevilly – Une vie au hasard, dont rien ne serait connu d’avance, une vie comme l’année qui vient ?

    Le Marchand – Justement !

    Barbey d’Aurevilly – C’est ce que je voudrais aussi, si j’avais à revivre, moi et tout le monde. Mais cela veut dire que le destin, jusqu’au jour où nous sommes, nous a tous mal traités. Et on voit assez clairement que l’opinion commune est que le mal, dans le passé, l’a de beaucoup emporté sur le bien, puisque personne, si c’était pour refaire le même chemin, personne ne consentirait à naître une nouvelle fois. La vie qui est bonne, ce n’est pas celle qu’on connaît ; ce n’est pas la vie passée, c’est la vie à venir. Avec l’année nouvelle, le destin va enfin nous traiter favorablement, vous et moi, tout le monde, et nous allons être heureux.

    Le Marchand – Espérons-le.

    Barbey d’Aurevilly – Montrez-moi donc votre plus bel almanach.

    Le Marchand – Voici, monsieur. C’est cinquante centimes.

    Barbey d’Aurevilly – Voici cinquante centimes.

    Le Marchand – Merci Monsieur. Au revoir ! Almanachs, almanachs neufs ! Calendriers nouveaux !

     

    Post scriptum (en italien pour rester cohérent) :

      

     

    Illustration : Peanuts, de Charles M. Schulz (coll. part.) 

    Traduction :

    -1. Charly Brown : Heureuse nouvelle année Lucy

    -1. Lucy : Ceci la rendra telle ?

    -2. Lucy : Le fait que tu dises « heureuse nouvelle année » la rendra pour autant heureuse ?

    -3. Lucy : Seulement parce-que tu le dis, tu affirmes qu’elle le sera ?

    -4. Lucy : C’est une garantie de ta part ? C’est…

    -4. Charly Brown : Oh mon Dieu !

    Giacomo Leopardi  

    et, accessoirement, Charles Schulz ; remerciements aussi à Socrate.

    Julien Sapori s’est chargé uniquement de la mise en page et des petits commentaires.

     

     


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  • Commentaires

    1
    Thoutmes
    Mercredi 3 Janvier à 09:41
    Excellent. Mais ne pas vouloir simplement revivre les mêmes événements c'est peut-être aussi parier sur l'avenir, croire que l'on peut agir pour l'améliorer. C'est choisir un billet de loterie plutôt que la certitude de tirer un lot de consolation... Amitiés et meilleurs voeux pour 2024 n
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